Du 11/10/13 au
16/03/14 à
la Pinacothèque
Arrivé au sommet d’un
escalier, c’est tout un monde artistique, culturel et historique
qui se répand sur les murs de la Pinacothèque de Paris. Les
commissaires de l’exposition ont eu le très louable souci de
rassembler un maximum d’œuvres de Francisco de Goya (223 en
tout), permettant au spectateur d’observer la quasi totalité des
quatre plus grandes séries de gravures que l’artiste ait réalisées
(pour la plupart provenant de collections particulières) ainsi que
quelques unes de ses peintures.
Au fil des salles, nous faisons
face à l’œil exacerbé du peintre qui traite chaque sujet – que
ce soit le peuple, l’aristocratie, la guerre ou la prostitution –
avec la précision d’un naturaliste, le tout agrémenté de
compositions dramatiques soutenant
une vision particulièrement satirique de la société. Goya est l’homme qui a exalté la puissance des images par des
compositions resserrées, des jeux incessants de clair-obscur et dans
ses toiles des touches colorées et parfois épaisses qui vivifient
l’ensemble. Ce style très particulier est loin des schémas
classiques voulus par l’académisme ambiant. S’il est alors
apparu comme un peintre peu orthodoxe aux yeux de certains de ses
détracteurs (et notamment l’église), c’est justement parce que
Goya frappe par son originalité et sa modernité.
L’auteur étant lui même
« persuadé que la critique des erreurs et des vices humains
(…) peut être aussi l’objet de la peinture », ce
« haïsseur de moine » comme le qualifiait Baudelaire (en
référence à sa critique récurrente et caricaturale de la
religion), n’hésite pas à faire valoir l’art comme moyen
d’expression engagé. Le spectateur se retrouve plongé dans des
images au pouvoir de suggestion étonnant telle la Scène
de genre de la Guerre d’Indépendance
– qui n’est pas sans rappeler le célèbre Tres
de Mayo – où
toute l’horreur et l’anarchie du conflit sont synthétisées dans
une sombre chaîne humaine dont les maillons s’entretuent au
premier plan. Un homme seul, dressé, les bras levés au ciel,
désigne une petite éclaircie, seule tache bleue du ciel gris-noir,
tel un symbole d’espoir. A l’image de la célèbre série de
gravures des « Désastres de la guerre » : Goya,
profondément touché par le conflit à la fois civil et militaire
(1808-1814), bouleverse l’esthétique classique en ne montrant plus
la guerre comme un acte héroïque à glorifier mais comme une
véritable plongée dans la brutalité d’un monde barbare. Les
critiques de ce roi de la dérision sont féroces, notamment au
travers de titres éloquents qu’il suffit d’évoquer : Que
peut-on faire de pire ?
Barbares !,
Peine cruelle…
Goya donnait à la peinture une impulsion nouvelle en se faisant la
voix qui dénonce – par la représentation – les atrocités. En
se faisant le chroniqueur de cette tragédie, Goya semble – sans
totalement s’y réduire – anticiper le travail critique de nos
futurs reporters. Un écho qui sonne donc terriblement moderne à nos
oreilles et qui a été repris par de nombreux artistes tout au long
de l’histoire, de Manet à Picasso.
Si Goya est le témoin de son
époque, nous éclairant sur les vicissitudes sociales de son temps,
Goya c’est aussi la folie, le rêve où tout se mêle et se
brouille. En précurseur du romantisme noir, notamment avec sa série
des « Caprices », il nous invite dans un monde peuplé
d’être difformes, de gnomes, d’ânes, de sorcières, d’hommes
à têtes d’animaux… Les frontières entre le bien et le mal, le
réel et le fantastique, la logique et l’absurde s’assombrissent,
et c’est au spectateur qu’il incombe de se faire sa propre idée,
sa propre « morale » de la saynète, s'il parvient
toutefois à en trouver une. Cette ambiguïté d’interprétation
est omniprésente dans le travail de Goya, laissant une grande place
à la réflexion du spectateur. Ceci est particulièrement vrai de la
mystérieuse série des « Proverbes » dans laquelle
l’artiste représente des scènes imaginaires qui, telles des
songes, mettent en lumière la part d’absurde et d’irrationnel
des hommes, rendue perceptible par le travail du peintre.
Ainsi cette fabuleuse
exposition, éminemment riche, est l’occasion inédite de mieux
connaître l’histoire espagnole (mais aussi française) que se soit
par la guerre ou par les portraits d’enfants ou de l’aristocratie
espagnole, tout en laissant libre cours à son imagination dans les
compositions fantastiques que résume à elle seule la gravure ci
dessous. Goya y évoque les "monstres" de son esprit ;
mais, observateur de son temps, le maître de Fuendetodos savait
aussi peindre les monstruosités que son époque lui donnait en
spectacle.
Le
sommeil de la raison produit des monstres
(Caprice n°43)
Mégane