16 janvier 2014

Exposition : Goya et la modernité, les peintres témoins de leur temps

Du 11/10/13 au 16/03/14 à la Pinacothèque




Arrivé au sommet d’un escalier, c’est tout un monde artistique, culturel et historique qui se répand sur les murs de la Pinacothèque de Paris. Les commissaires de l’exposition ont eu le très louable souci de rassembler un maximum d’œuvres de Francisco de Goya (223 en tout), permettant au spectateur d’observer la quasi totalité des quatre plus grandes séries de gravures que l’artiste ait réalisées (pour la plupart provenant de collections particulières) ainsi que quelques unes de ses peintures.
Au fil des salles, nous faisons face à l’œil exacerbé du peintre qui traite chaque sujet – que ce soit le peuple, l’aristocratie, la guerre ou la prostitution – avec la précision d’un naturaliste, le tout agrémenté de compositions dramatiques soutenant une vision particulièrement satirique de la société. Goya est l’homme qui a exalté la puissance des images par des compositions resserrées, des jeux incessants de clair-obscur et dans ses toiles des touches colorées et parfois épaisses qui vivifient l’ensemble. Ce style très particulier est loin des schémas classiques voulus par l’académisme ambiant. S’il est alors apparu comme un peintre peu orthodoxe aux yeux de certains de ses détracteurs (et notamment l’église), c’est justement parce que Goya frappe par son originalité et sa modernité.

L’auteur étant lui même « persuadé que la critique des erreurs et des vices humains (…) peut être aussi l’objet de la peinture », ce « haïsseur de moine » comme le qualifiait Baudelaire (en référence à sa critique récurrente et caricaturale de la religion), n’hésite pas à faire valoir l’art comme moyen d’expression engagé. Le spectateur se retrouve plongé dans des images au pouvoir de suggestion étonnant telle la Scène de genre de la Guerre d’Indépendance – qui n’est pas sans rappeler le célèbre Tres de Mayo – où toute l’horreur et l’anarchie du conflit sont synthétisées dans une sombre chaîne humaine dont les maillons s’entretuent au premier plan. Un homme seul, dressé, les bras levés au ciel, désigne une petite éclaircie, seule tache bleue du ciel gris-noir, tel un symbole d’espoir. A l’image de la célèbre série de gravures des « Désastres de la guerre » : Goya, profondément touché par le conflit à la fois civil et militaire (1808-1814), bouleverse l’esthétique classique en ne montrant plus la guerre comme un acte héroïque à glorifier mais comme une véritable plongée dans la brutalité d’un monde barbare. Les critiques de ce roi de la dérision sont féroces, notamment au travers de titres éloquents qu’il suffit d’évoquer : Que peut-on faire de pire ? Barbares !, Peine cruelle… Goya donnait à la peinture une impulsion nouvelle en se faisant la voix qui dénonce – par la représentation – les atrocités. En se faisant le chroniqueur de cette tragédie, Goya semble – sans totalement s’y réduire – anticiper le travail critique de nos futurs reporters. Un écho qui sonne donc terriblement moderne à nos oreilles et qui a été repris par de nombreux artistes tout au long de l’histoire, de Manet à Picasso.
Si Goya est le témoin de son époque, nous éclairant sur les vicissitudes sociales de son temps, Goya c’est aussi la folie, le rêve où tout se mêle et se brouille. En précurseur du romantisme noir, notamment avec sa série des « Caprices », il nous invite dans un monde peuplé d’être difformes, de gnomes, d’ânes, de sorcières, d’hommes à têtes d’animaux… Les frontières entre le bien et le mal, le réel et le fantastique, la logique et l’absurde s’assombrissent, et c’est au spectateur qu’il incombe de se faire sa propre idée, sa propre « morale » de la saynète, s'il parvient toutefois à en trouver une. Cette ambiguïté d’interprétation est omniprésente dans le travail de Goya, laissant une grande place à la réflexion du spectateur. Ceci est particulièrement vrai de la mystérieuse série des « Proverbes » dans laquelle l’artiste représente des scènes imaginaires qui, telles des songes, mettent en lumière la part d’absurde et d’irrationnel des hommes, rendue perceptible par le travail du peintre.

Ainsi cette fabuleuse exposition, éminemment riche, est l’occasion inédite de mieux connaître l’histoire espagnole (mais aussi française) que se soit par la guerre ou par les portraits d’enfants ou de l’aristocratie espagnole, tout en laissant libre cours à son imagination dans les compositions fantastiques que résume à elle seule la gravure ci dessous. Goya y évoque les "monstres" de son esprit ; mais, observateur de son temps, le maître de Fuendetodos savait aussi peindre les monstruosités que son époque lui donnait en spectacle.



Le sommeil de la raison produit des monstres (Caprice n°43)

Mégane

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire